
Jeu vidéo et transition environnementale : Interview
Interview de Pierre Forest, co-fondateur de GamesPlanet.com
Dans le cadre du Greentober, mois dédié à l’environnement dans le jeu vidéo, nous avons rencontré Pierre Forest, co-fondateur de Gamesplanet.com, pionnier de la distribution numérique en France. L’échange a permis de revenir sur les enjeux environnementaux de l’industrie et sur les initiatives concrètes mises en place par l’entreprise pour sensibiliser et agir en faveur de la transition écologique.
Quand et pourquoi Gamesplanet s’est-elle investie en faveur de la transition écologique ?
« Quand nous avons créé Metaboli en 2001 puis Gamesplanet.com, nous pensions naïvement et grossièrement qu’en remplaçant la fabrication et la logistique de millions de DVD-ROM par la distribution dématérialisée, nous allions forcément contribuer à réduire l’empreinte environnementale du jeu vidéo », explique Pierre Forest.
Mais la réalité s’est vite révélée plus complexe. Plusieurs études, dont The Carbon Footprint of Games Distribution (2014) ou encore la thèse de Joshua Aslan (2020), ont montré que la distribution numérique n’est pas automatiquement plus sobre que la distribution sur supports physiques. Tout dépend de la taille des jeux, de la performance énergétique des réseaux… et du recours ou non au cloud gaming, dont les infrastructures sont censées être extrêmement énergivores.
En 2022, l’ADEME et l’Arcep mettaient en avant l’importance de la fabrication du hardware (consoles, PC, terminaux) comme composante essentielle de l’empreinte environnementale des services numériques et des jeux en particulier.
Ces différents constats nous ont poussé à imaginer une approche pragmatique pour évaluer l’impact de notre activité et à tracer une feuille de route spécifique pour réduire l’impact du téléchargement de jeux. Feuille de route que nous avons souhaité publier sur notre site», poursuit-il.
Quel a été votre constat au final ?
La réalisation d’études d’impact carbone en interne a montré que 95 % de notre empreinte carbone provenait de la distribution et de l’utilisation de notre catalogue.
« L’impact n’est donc pas seulement lié à notre activité directe, à nos équipes, à notre site et à nos promotions sur les réseaux, mais surtout aux 3 millions de joueurs qui achètent chez nous et utilisent les jeux que nous leur vendons », précise Pierre Forest.
En d’autres termes, plus nous vendons de jeux et plus notre empreinte augmente.
Avec ce postulat en tête, réduire l’empreinte de notre activité directe n’aura aucun effet concret, il faut qu’on puisse participer à réduire l’impact lié à l’utilisation des jeux que nous distribuons.
Vous parlez d’une feuille de route Gamesplanet. Quels sont les leviers d’action de cette feuille de route environnementale ?
Nous avons décidé de travailler dans 3 directions précise Pierre Forest :
- Alléger les impacts du site Gamesplanet.com et réduire tous les flux qui sont sous notre contrôle directe (bureau, voyages, équipements…) ;
- Le déploiement de ce que nous avons appelé les écotags pour mettre en avant dans notre catalogue tous les jeux qui contiennent des messages positifs pour l’environnement et sensibilisent les joueurs aux enjeux autour de l’écologie ;
- La promotion de l’écoconception dans le développement des jeux vidéo. Cette brique est sans aucun doute la plus difficile et la plus longue. Elle passe par notre engagement dans un certain nombre de projets techniques comme Jyros par exemple et devrait à terme nous mener à mettre en place un système comparable à une sorte de nutriscore environnemental que nous avons nommé Eco Gaming.
Nous avons publié en détails cette feuille de route sur notre site.
En quoi l’écoconception est-elle au cœur de la démarche ?
Pour Gamesplanet, cette notion d’éco-conception est fondamentale. Elle repose sur trois piliers :
- Réduire la taille des jeux, ce qui a un impact sur les disques dur des serveurs, des PC des utilisateurs et évidemment sur la bande passante du réseau nécessaire à leur distribution,
- Adapter les jeux aux machines les moins impactantes du marché d’un point de vue environnementale,
- Diminuer la consommation d’électricité du couple jeu/hardware afin de réduire la facture électrique du joueur et partant, son empreinte environnementale liée au mix énergétique du pays dans lequel il se trouve.
Les méthodes d’évaluation permettant de mesurer les progrès attendus sur ces 3 piliers ont commencé à être intégrées au référentiel de la méthode scientifique de calcul de l’outil Jyros mais aussi au sein d’un référentiel auprès de l’ADEME.
Parlez nous des Ecotags et de l’Ecogaming score ?
Il s’agit de 2 approches complémentaires au service de notre activité de distribution.
La place d’un acteur de la distribution comme GamesPlanet peut permettre d’informer les joueurs à la fois au niveau du contenu des jeux et de leurs impacts environnementaux. Il faut marcher sur 2 jambes :
- Les écotags mettent en valeur les messages écologiques au sein des jeux qui en sont porteurs (que ce soit dans leur narration, leur gameplay, leur esthétisme ou dans la politique environnementale déclarée de leurs ayants droits),
- L’écogaming score doit, pour sa part, mesurer à terme et de manière objective, l’impact environnemental d’un jeu en le situant par rapport à la moyenne du marché.
À quoi servent concrètement les écotags ?
« Beaucoup d’acteurs promeuvent le rôle culturel du jeu vidéo en tant que vecteur de softpower, susceptible d’influencer positivement les comportements. Nous avons voulu reprendre et structurer cette idée dans le cadre de notre activité de distribution», explique Pierre Forest.
Inspirés par des initiatives comme Playing for the Planet, la Green Game Jam ou le collectif français L’Écran d’Après, les écotags permettent ainsi de signaler dans le catalogue Gamesplanet les jeux qui intègrent des thématiques environnementales. Quatre catégories sont utilisées :
- Esthétisme : le jeu magnifie la nature, suscite l’émotion par les paysages ;
- Narration : l’environnement ou le climat sont au cœur de l’histoire ;
- Gameplay : les mécaniques de jeu intègrent des problématiques écologiques ;
- Politique de l’éditeur : optimisation technique, sobriété graphique, compensation carbone, etc.
« C’est une façon de rendre visibles les titres dont le contenu fait sens d’un point de vue environnemental, loin des autres thématiques habituelles du jeu vidéo. Ce contenu ne manque pas : depuis le début de l’initiative en 2023, nous avons pu référencer plus de 350 jeux sur notre site et aborder des dizaines de thématiques différentes comme la protection des océans, l’impact de l’extractivisme et la lutte autour des ressources, les énergies fossiles, les pesticides, la disparition des espèces, etc….»
Pour en savoir plus, découvrez l’article sur le site de Games Planet dédié à ce sujet.
“Comme vous pouvez le voir, même si l’effet sur les ventes des jeux éco taggés reste limité, l’initiative met en lumière la richesse énormes des thématiques écologiques qui a pu être traitée d’ores et déjà dans tous ces jeux vidéo”
Mais Pierre Forest reste lucide : « Un jeu ne peut pas se revendiquer écologique uniquement par son contenu. S’il parle du manque d’eau mais qu’il affiche une empreinte carbone beaucoup plus élevée que la moyenne des jeux, la démarche ne peut pas être perçue comme positive. Les écotags informent les joueurs sur le contenu écologique d’un jeu mais seul le calcul scientifique, selon une méthodologie partagée comme celle que nous développons avec Jyros, peut offrir une crédibilité en matière d’impact environnemental réel. Il est nécessaire d’avoir les deux approches pour éviter tout raccourci et tout greenwashing.
Le livre de Marijam Didžgalvytė (Everything to Play For. How Videogames Are Changing the World) qui est sortie récemment met justement en lumière les limites des jeux vidéo progressistes, qu’elle considère comme une impasse.
Selon elle, ce n’est pas seulement le contenu ou les messages d’un jeu qui comptent, mais la manière dont les communautés de joueurs sont impliquées, ce n’est pas seulement le contenu du jeu et ses messages qu’il faut travailler mais également les interactions entre les joueurs, une démarche que des éditeurs comme Ubisoft, via Playing for the Planet, cherchent à développer.
Elle rappelle enfin que l’éthique d’une œuvre se joue avant tout dans ses conditions de création, et non dans son sujet. « On sera d’accord là-dessus , les écotags ne sont en rien suffisants », conclut Pierre Forest.
Dites-nous en plus sur ce que vous appelez l'éco gaming score
En parallèle des ecotags, l’approche technique de l’écogaming score a fait l’objet d’une collaboration avec Resilio, une société spécialisée dans l’analyse d’impact et la recherche et développement.
L’éco gaming score cherche à évaluer l’impact environnemental d’une heure de jeu sur PC, en tenant compte des éléments essentiels comme la fabrication du matériel nécessaire à son usage et son utilisation par les joueurs. Les résultats sont classés de A à E : A correspondant à un impact significativement inférieur à la moyenne, E à un impact supérieur.
« C’est un outil de transparence, basé sur une méthodologie scientifique actuellement soumise à l’ADEME. Nous voulons permettre aux joueurs de comprendre l’impact concret de leur pratique et aux studios d’identifier des pistes d’eco-conception », explique Pierre Forest.
Avec tout ça, apercevez-vous un futur durable pour le jeu vidéo ?
Pierre Forest se dit convaincu qu’à l’horizon d’une quinzaine d’années, l’écoconception deviendra un standard, portée soit par la régulation, soit l’auto-régulation, à la fois contraint par les enjeux climatiques mais par la recherche d’une sobriété rendue nécessaire par la hausse des prix de l’électricité et la raréfactions des ressources.
« C’est un défi immense pour l’industrie, mais aussi une formidable opportunité créative. Faire mieux avec moins, c’était la première promesse de cette industrie, qui est née avec des contraintes au départ liées aux capacités faméliques des premiers terminaux. Il faut renouer avec cette promesse originelle pour aller vers un jeu vidéo plus durable. Tout comme l’agriculture doit aller vers une production avec moins de pesticides, le jeu vidéo ira vers une consommation moindre d’électricité et un recyclage des ressources hardware »
Découvrez notre précédent article du Greentober, consacré aux jeux à thématiques environnementales repérés à la Gamescom.
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